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Conclusion

Quel bilan peut-on retenir de cet aménagement de rives un demi-siècle après la première proposition ?

Dans les années 1960, la proposition de Bernard Kohn dont l’idée directrice était d’implanter sur les deux rives du fleuve une promenade verte par le biais de parcs naturels de dix kilomètres chacun, était une idée totalement originale, voire utopique qui aurait permis à tous les habitants d'Ahmedabad sans exception de bénéficier d'un environnement remarquable.

Ce projet était basé sur la liberté d’accès aux berges par quiconque tout en évitant d’implanter des voiries. Il répondait à une volonté d'équité sociale proche des idées de Gandhi.

En cinquante ans, l'Inde, comme beaucoup d’autres pays dans le reste du monde, s’est totalement immergée dans une croissance qui privilégie le développement économique rapide favorable aux classes plus aisées. Les milieux professionnels répondent favorablement à cette réalité, sans malheureusement exercer leur regard critique sur les effets sociaux et environnementaux dont les conséquences économiques peuvent être néfastes à long terme. É. Verdeil (2006) souligne avec justesse le tournant libéral des années 1980-1990 dans les pays du sud qui continue d’agir aujourd’hui sur les pratiques professionnelles telles que l’urbanisme avec la multiplication du partenariat public-privé, la privatisation de la maîtrise d’ouvrage urbaine, etc.  

 En définitive, le « modèle Sabarmati » retranscrit dans une certaine mesure la mutation de l'espace public en Inde, celle de formaliser le territoire pour des usages à l’image des pays occidentaux. Ce projet semble être pris comme référence pour l’aménagement d’autres fleuves en Inde et hors des frontières du pays. Cette vision d’aménagement me questionne sur les enjeux post-projet, notamment la maintenance ou encore l’évolution dans le temps intimement liée à la notion de vieillissement du projet. De plus, ce modèle laisse entendre que l’aménagement des cours d'eau nécessite l’imperméabilisation des berges ou encore le pompage de l'eau d'autres rivières pour alimenter le cours d’eau visé. Ainsi, plutôt que de considérer ces cours d’eau comme des écosystèmes, ils sont considérés comme des sources et des conduites d’eau.

Cette position d’aménagement est hautement discutable à l’heure où la notion de développement soutenable (rapport Brundtland) depuis trente ans interpelle sur la préservation des écosystèmes, mais aussi l'équité sociale et l’efficience économique. Autant de notions qui semblent avoir été évincées lors de la mise en œuvre en 2005 de cet aménagement des rives de la Sabarmati.

 

Finalement, ce projet retranscrit les enjeux urbains présents dans de nombreuses villes de PED, à savoir, proposer de nouveaux espaces publics, des logements, des équipements et des services pour une population croissante. Néanmoins, ce projet n’a répondu que partiellement à ces enjeux. Le choix délibéré de s’orienter sur des aspects économiques et financiers au détriment des aspects humains et sociaux souligne les limites de ce projet. Effectivement, ces enjeux doivent également s’inscrire dans un souci d’équité (ne pas construire la ville au détriment d’une majorité plus démunie) et du respect de l’environnement, autant d’éléments qui semblent appuyer une vision idéale de la ville dans sa globalité.  D’où l'interrogation suivante : quelle est la part de responsabilité des professionnels de l’aménagement et des politiciens dans le traitement et l’éventuelle différenciation des impacts économiques, sociaux, financiers, environnementaux et futurs du projet ?

 

Ce projet invite également à réfléchir sur la notion des « mégaprojets » proposés dans les pays en développement. La thèse développée par Sangeeta Banerji (2011) intitulée « Role of Megaprojects in Making of a World Class City : The Case of Sabarmati Riverfront Development Project in Ahmedabad » souligne adroitement le rôle du facteur temps. Malgré le long processus de réflexion, ce dernier n’a pas permis de bonifier les prémices qui ont été en grande partie diluées avec le temps. Certains projets font donc face à des enjeux urbains trop importants pour être menés à bien sous tous les angles y compris en sollicitant une longue réflexion en amont.

Le projet d’aménagement des rives du fleuve de la Sabarmati à Ahmedabad (Gujarat, Inde) reflète-t-il une mutation de l'espace public en Inde ?

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